TIR 01 – La création de vide
Il était un temps pas si lointain où, quand on demandait aux petites filles ce qu’elles voulaient faire plus tard, elles répondaient « princesse ». C’était naïf, sucré, irréel. Mais c’était de l’ordre du fantasme. Un rêve sans mode d’emploi. Une projection poétique, presque mystique, vers un ailleurs inaccessible. Et c’était peut-être ça, justement, qui le rendait inoffensif : il élevait. Il faisait lever les yeux.
Aujourd’hui, les mêmes questions reçoivent une autre réponse : « influenceuse ». Et là, le fantasme est devenu business plan. C’est concret, c’est cadré, c’est calibré. Le rêve n’est plus un envol, mais une stratégie d’audience. Il ne s’agit plus de grandir, d’explorer, de se transformer. Il s’agit de capter. De plaire. D’être vue. En boucle.
Les influenceurs sont devenus les nouveaux modèles. Pas pour ce qu’ils créent, mais pour ce qu’ils incarnent : un mode de vie vendu comme un idéal, alors qu’il n’est que vitrine. Des vidéos de 30 secondes, des « routines » pseudo-spontanées, des liens d’affiliation à chaque tournant. Ils ne proposent pas un chemin, encore moins un questionnement. Ils se contentent de vendre leur quotidien de carton. Et ce quotidien est devenu une marchandise à part entière.
On les appelle « créateurs de contenu ». Mais ils ne créent rien. Ils remplissent. Ils occupent l’espace comme on bouche une fuite d’eau avec de la mousse expansive : vite fait, mal fait, mais suffisant pour détourner l’attention. Ils produisent de la distraction, du défilement, du « regarde-moi ». Ils t’agrippent l’œil pour que tu restes. Pas pour que tu comprennes. Pas pour que tu t’élèves.
Le plus ironique dans tout ça, c’est que ce système n’a même pas été imposé. On l’a adopté. Volontairement. Généreusement. On a laissé les algorithmes éduquer nos gosses à coups de filtres papillon et de fausses stories sponsorisées. On a vu venir le ver, et on a souri en le regardant s’enfoncer dans la pomme. Parce qu’on ne voulait pas faire les rabat-joie. Parce qu’on ne voulait pas passer pour des boomers. Parce que, peut-être, une partie de nous était jalouse de cette vitrine-là.
Je le dis sans nostalgie. Je ne suis pas du genre à pleurer le « c’était mieux avant ». Avant, c’était tout aussi tarte, juste avec d’autres codes. On avait aussi des idoles crétines, des chansons pleines de vide, des tics de jeunesse. Mais il restait, malgré tout, un lien avec quelque chose de culturel, même de masse. Il y avait encore un peu de rêve, même naïf. Aujourd’hui, on est passés à l’ère du benchmark. On ne rêve plus, on compare. On ne fantasme plus, on calcule.
Les pseudo-gourous qui pullulent sur les réseaux sociaux ne veulent pas rendre leur public meilleur. Leur seul objectif, c’est de capitaliser. Vendre des crèmes, des formations vides, des e-books torchés en une nuit. L’illusion d’un accès facile à la richesse, à la notoriété, au bonheur. C’est du charlatanisme 2.0, maquillé en success story.
Et pendant ce temps-là, on regarde nos ados glisser doucement dans ce piège à dopamine. On voit leur temps, leur attention, leur estime d’eux-mêmes se faire ronger par des likes et des filtres. On le voit. On le sait. Et pourtant, on laisse faire. Comme si c’était inéluctable.
Alors non, je ne fais pas la morale. Je suis aussi tombé dans les applis. J’ai aussi scrollé comme un zombie. Mais à un moment, faut tirer. Faut nommer les choses. Faut se demander : est-ce qu’on veut continuer à nourrir ça ?
Ce n’est pas un retour en arrière qu’il faut. C’est une reconquête.
Redécouvrir le silence.
Redécouvrir le vide, le vrai. Celui qu’on remplit nous-mêmes. Avec des idées. Des lectures. Des projets. Se recréer du lien social. On n’a jamais eu autant de réseaux, et pourtant, on n’a jamais été aussi seuls. C’est con, non ?.
Et si on recréait du vrai contenu, bordel ? Moi j’y crois. Et j’essaie. Tous les jours.