TIR N°3 – NON, L’ÉTAT N’EST PAS UNE ENTREPRISE

On entend souvent cette bêtise en col blanc : « L’État, c’est comme une grosse entreprise. » Comme si on pouvait calquer des logiques de performance sur une machine qui a pour cœur non pas un tableau Excel, mais l’intérêt général. C’est faux. Profondément, structurellement, moralement faux. L’État n’est pas une entreprise. Il ne l’a jamais été, et il ne doit surtout pas le devenir.

Une entreprise a une mission claire : faire du chiffre, dégager du bénéfice. Elle vend un produit, ou un service, à des clients qui ont les moyens de payer. Si ça ne marche pas, on ferme. Si ça ne rapporte pas, on taille. Si ça coûte trop cher, on délocalise.

L’État, lui, ne choisit pas ses “clients”. Il ne ferme pas une maternité parce que le taux de rentabilité est trop bas. Il ne supprime pas un commissariat parce que le quartier est trop pauvre. Il ne gère pas ses hôpitaux comme on gère une chaîne de fast-food. Ou du moins, il ne devrait pas.

Ce qu’on appelle service public, ce n’est pas un bonus, c’est une base. Un socle. Une promesse faite à tous, même – et surtout – à ceux pour qui rien ne rapporte.

L’État n’a pas d’actionnaires. Il n’a pas à séduire les marchés, ni à “optimiser ses process” au détriment des plus fragiles. Il rend des comptes, oui, mais au peuple. Pas selon le capital investi, mais selon le principe d’égalité. Une voix, un vote, une responsabilité collective. C’est ça, la démocratie. Et c’est à l’opposé de la logique actionnariale.

Quand une entreprise échoue, elle fait faillite. Quand l’État flanche, il renégocie, il restructure, il se relève, parce qu’il est ce qui reste quand tout le reste s’est effondré. Il est le filet de sécurité, la main invisible qui répare quand le marché, lui, abandonne.

On ne peut pas diriger un pays comme on dirige une entreprise parce que les objectifs ne sont pas les mêmes, les moyens ne sont pas les mêmes, les enjeux ne sont pas les mêmes. L’État protège. Il arbitre. Il soigne. Il éduque. Il investit sans retour immédiat. Il assume la lenteur parfois, parce que la précipitation coûte plus cher en vies humaines qu’en lignes budgétaires. Il tient bon, quand tout pousse à lâcher.

Vouloir un État rentable, c’est poser la mauvaise question. Rentable pour qui ? Pour ceux qui ont déjà tout ? Pour ceux qui aimeraient que la solidarité soit un abonnement premium ? Non.

Un État n’est pas là pour satisfaire des attentes de consommateurs. Il est là pour garantir des droits, même quand ils dérangent. Et s’il commence à penser comme une entreprise, c’est qu’il a déjà renoncé à être une République.